Le Crédac

L’Amour

Stéphane Calais

Outre la qualité de son travail artistique, la singularité de son dessin et sa grande culture, Stéphane Calais apparaît aujourd’hui comme un artiste au langage plastique à la fois complexe, sophistiqué et violent.
Un accord de force et d’élégance, entre « le chevalier et la dentellière ».
Profondément marqué par l’histoire du dessin, mais également par l’histoire du design et de la littérature, son ami Pierre Staudenmeyer décrivait parfaitement l’essentiel de ce à quoi tient Calais : « Cet étrange brouillage qui va du sujet au sujet, une sorte d’allégresse furieuse et un peu amère (au sens culinaire), le caractère biographique des titres, ce savant mélange de l’enfantin figuratif et d’une précise technicité (celle par exemple de la rédaction des protocoles destinés aux collectionneurs), cette volonté de mise en évidence d’une conscience individuelle et de transformation du regard, ce sentiment ancré du “ vrai “ et de ses sources magiques »1.
Comme la vie, les pièces de Stéphane Calais fonctionnent à l’énergie. Bien souvent l’artiste reprend, rectifie, réinterroge ses propres pièces. Ainsi en est-il de Maintenant/Now (1997) une série de 36 lampes en papier suspendues qui à l’approche de toute présence enclenche autant de voix qui murmurent un poème requiem de Denis Cooper à un ami suicidé. Cette œuvre montrée à Reims, au FRAC, il y a plus de dix ans, a ouvert mon approche du travail de Calais. Pour son exposition monographique au Crédac, il reprend cette œuvre et la transforme. 18 rhodoïds pliés et peints au spray laissent passer la lumière. Les voix sont pour Calais liées à l’éclat de la vie et à son impermanence. Ces « lanternes » qui vibrent n’ont pourtant rien d’une fête foraine et s’apparentent davantage à un univers de chapelle. Les voix disent un poème de Jack Spicer issu du livre Billy the Kid.

« Et le cœur se brise/En petits morceaux d’ombre/Presque au hasard/Sans signification/Comme un diamant/Avec dans son centre un diamant/Ou un roc/Un roc/J’ai peur que l’Amour ne pose trop crûment sa question/Et je ne sais plus ce qui m’a fait venir ici/Pas plus que l’os ne peut répondre à l’os dans le bras/Pas plus que l’ombre ne peut voir l’ombre/Nous nous dirigeons vers la mort/Comme qui ferait du canot dans un petit lac/Ou à chaque extrémité il n’y aurait que des branches de pin - Nous allons vers la mort en barque/A cœur ou à corps brisés/Ce choix est réel. Le diamant. C’est lui/Que je questionne. »

L’exposition s’articule en trois chapitres liés par une harmonie souterraine, un équilibre tendu. Dans une autre salle, Stéphane Calais met en exposition une sorte de machine à peindre. C’est-à-dire qu’il déploie de grands lés de moquette blanche suspendus au plafond, maculés de peinture noire. Ces deux dessins muraux atteignent un point de saturation de la matière qui va jusqu’à masquer entièrement l’image, la réduisant violemment au silence.
La brutalité de l’image est à l’aune du degré d’incision du trait de Calais. La trivialité technique rejoint la finesse du trait de la série M.H.S - Mythe, histoire, studio, dix dessins (96 x 71 cm). Y sont dessinés des portraits : Dora Maar, Napoléon III, Bismarck, Ambroise Thomas, une inconnue, Loiseau de Persuis, George Sand, une vue de l’atelier de Calais.
Autant de motifs qui entretiennent un rapport étroit à la figuration par la figure. Des (non) sujets que Stéphane Calais qualifie de « sujets à ras », ténus, libres.
Dans M.H.S, il met à plat le lieu de production, les niveaux de gris qui ont servi à faire les personnages et le résultat. C’est ce qui rapproche cette série de l’installation avec laquelle elle partage le même espace. Dans la troisième salle, la plus petite du lieu, Stéphane Calais accroche L’assassinat de Bruno Schulz un tableau de 2004. Cette œuvre est placée comme une introduction à La chambre.

Au centre de la grande salle, Stéphane Calais a construit une chambre de 4 x 4 m dont l’extérieur est entièrement recouvert de dessins de friandises. Certaines parties sont défoncées, détruites.
La cheminée qui tient encore trois poutres de la maison évanouie évoque celle de Hansel et Gretel, conte dans lequel la sorcière habite une maison en pain d’épices.
Stéphane Calais s’intéresse depuis longtemps à l’écrivain et dessinateur juif polonais Bruno Schulz. Ce dernier dû faire, sous la menace du SS Félix Landau, la création d’un ensemble de fresques dans la chambre de son jeune fils.
Cet ensemble retrouvé en 2001 en Ukraine, emporté en Israël, est un objet, une énigme qui habite Calais. Trois murs sur quatre sont à ce jour invisibles.
Comme il est impossible de toucher l’horreur, Calais ne reconstitue pas, ne réinterprète pas. C’est sa création qui est visible. Comme les dessinateurs de son panthéon, les Félicien Rops, Eric Stanton, Macherot par exemple qui, comme lui et comme Schulz, cristallisent avec simplicité des niveaux de fantasme et les mettent en image.
A cela s’ajoute la psychologie des contes de fée, cruels, des contes d’horreurs. La chambre conduit à l’usure et à la perte. A la ruine et à la cendre.
Les 8 affiches (120 x 160 cm) placées de part et d’autre de la chambre se confrontent pour 6 d’entre elles à des dessins originaux de Schulz dont Stéphane Calais s’est inspiré en grande partie. Ils sont issus du Livre idolâtre paru en 1920, un livre non relié, un livre d’images réalisées à partir de la technique du cliché verre. Il se présente comme un portefeuille de planches. Les dimensions sont moyennes 14 x 16 cm.
Les 9 exemplaires du livre qui nous sont parvenus regroupent 28 planches différentes. Schulz avait un goût pour le surnaturel, en particulier sous ses formes noires : magie, sorcellerie, apparitions, possessions et messes noires. Un goût et une fascination pour toutes les formes de déviance, pour l’hérétique et l’érotique.
Dans cette exposition Stéphane Calais ne cherche ni un prétexte, ni à faire un commentaire, mais davantage à poser et se poser la question du piège, du leurre, de l’Image.

Claire Le Restif

  1. dans Box Thaï, édition HYX, 2002

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