Le Crédac

Point de vue

Simone Decker

Fantastique. Se dit, entre autre, d’une œuvre décrivant l’irruption du surnaturel et de l’irrationnel dans la réalité quotidienne. C’est ce qui qualifie, pour moi, au sens fort et plein la jeune œuvre de Simone Decker. À travers différents sujets, elle semble nous raconter des histoires. Comme par exemple celle du « Mont Saint Watou », qui aurait la vertu d’apparaître et de disparaître, tel un château de sable sur les plages de l’enfance, d’être construit avec talent et patience, puis avec malice de s’évanouir avec la mer qui se retire.

Il est autorisé de penser aux peintures de paysages, aux photographies des grands espaces, aux œuvres des artistes du mouvement Land Art, version américaine, comme anglaise. Simone Decker compose avec le paysage, celui qu’elle souhaite voir apparaître là où elle se trouve. Elle s’amuse. Nous surprend.
La série Recently in Arnhem m’évoque 20 000 lieues sous les mers. La terre sèche du Mont Saint Watou s’enrichie d’un glacier. L’iceberg des grandes explorations cache dans sa partie immergée, un monde sous-marin, celui des monstres des contes, mais également celui des tableaux populaires. Les images de Simone Decker sont des voyages extraordinaires, destinés aux spectateurs éblouis, amateurs de romans scientifiques d’anticipation et amoureux du Jules Verne de Voyage au centre de la terre. L’exposition se fait aussi l’écrin d’un caisson lumineux qui redouble l’idée de l’aquarium. Jérémy, tel est le prénom d’un beau spécimen de poulpe, qui dans le contexte d’une grande halle de marché, prend des allures surdimensionnées. Simone Decker, dans la tradition des systèmes optiques, invente un nouveau véhicule (au sens de moyen de transport mental), une lunette d’observation, pour regarder les lunes ! Un couple de lunes pleines se fait la cour, se tourne autour en une valse aérienne.
Cet appareillage annule les distances. Là aussi, comme dans l’ensemble du travail de l’artiste il est question d’apparition et de disparition, de réalité et de fiction, d’illusion.
L’imagerie développée dans son univers, prend son origine dans une forme populaire de la culture : pour preuve magistrale cette série de douze sculptures, douze travaux d’Hercule, qu’elle intitule en anglais Ghosts (fantômes). Il s’agit de sculptures et de statues fantômes, empreintes d’originaux la plupart du temps en bronze, rappelant d’une part les petites sculptures des magasins de souvenirs bon marché qui changent de couleur aux variations atmosphériques et d’autre part les standards de la statuaire des cités occidentales. Dans la grande salle souterraine du Crédac plongée dans le noir, elles prennent des allures de lucioles démesurées, de copies de musées, d’animaux évadés du Musée d’Histoire naturelle. Se promenant dans cette « forêt » de figures, nous vivons là une expérience rare.
En effet, c’est l’énergie emmagasinée par les fantômes qui donnent un « éclairage » à une version contemporaine de l’exposition de sculptures.
Un point de vue. Pour moi, inédit.

Claire Le Restif


PIÈGES
Du travail de Simone Decker, je veux retenir ici l’humour, la distance et l’engagement total qui consistent à faire de l’art un jeu sérieux. Pour évoquer ce qu’elle a, entre autre, mis en place au Crédac, il faut dire son sens critique remarquable. Au sujet de la sculpture monumentale notamment. En 1999, Simone Decker représente son pays le Luxembourg à la Biennale de Venise. C’est là où je découvre pour la première fois ce travail. Comme tous les deux ans, la Sérénissime se transforme en jeu de piste pour aficionados de l’art. J’ai alors en main une série de documents type posters du travail de Simone Decker. Chewing-gum in Venice est le titre d’une dizaine d’images de sculptures gigantesques de chewing-gum installées dans différents lieux de la ville. Piégée, la ville, mais aussi la spectatrice, qui durant dix bonnes minutes se met en tête de retrouver ces sculptures avant de comprendre qu’il s’agit d’un tout autre travail, celui d’une œuvre basée sur la distance critique et sur le point de vue. Ce n’est pas un photomontage, l’artiste travaille toujours in situ. L’angle de la prise de vue qu’elle adopte donne l’illusion que ses interventions minuscules placées dans Venise se transforment en art monumental. C’est évidemment avec la pâte d’un chewing-gum qu’on fait ces premières formes. Nous savons tous aussi que Venise est condamnée par la pollution et celle du chewing-gum y participe. Notre culture nous a habitués à considérer la photographie comme trace. Or, dans le travail de Simone Decker il faut saisir que ses images sont le témoignage d’une sculpture qui n’a jamais existé comme telle dans l’espace public. Aussi quand Simone Decker a proposé un projet pour le Crédac, celui de placer une série de pièces intitulées Ghosts, je ne me suis pas méfiée. Piégée. Il s’agissait bel et bien cette fois de sculptures monumentales !
L’artiste avait décidé d’emprunter/d’empreinter (dans tous les sens du terme) douze (comme les travaux d’Hercule) sculptures d’époque, de style différents dans l’espace public à Luxembourg. A partir de ces empreintes, Simone Decker a réalisé des moulages dont le revêtement est phosphorescent à la manière des figurines populaires à vendre dans les magasins touristiques. Les sculptures deviennent, une fois la lumière éteinte d’énormes lucioles, souvenirs fantomatiques placés dans une réserve de musée nocturne et fantastique. Simone Decker proposait de redonner une seconde chance à ces œuvres qui, à force d’être en permanence planté dans le décor de la ville, finissent inévitablement par disparaître. Une fois réalisées, ces fantômes ont été d’abord placés dans le centre d’art de leur ville « natale ». C’est en majesté, sur le toit du casino Luxembourg-forum d’art contemporain, que le spectacle de ces sculptures a lieu jour et nuit. À l’inverse, c’est dans la partie la plus souterraine du Crédac, qu’elles ont été ensuite placées à Ivry, capitale de l’art monumental ! Que ce soit en photographie ou en sculpture, Simone Decker s’amuse à tendre des pièges. L’image contemporaine est questionnée pleinement : faire croire, faire illusion, faire apparaître et disparaître des montagnes ! Car les anthropologues le disent, l’homme est le seul être vivant à s’intéresser aux images après qu’ils aient découverts qu’il s’agit de leurres.

Claire Le Restif


MAISON
Simone Decker mène actuellement un projet (monumental) avec son compagnon l’architecte Christian Pantzer. Il s’agit de la construction de leur maison. Lorsque qu’elle nous a montré les premières maquettes de son projet, nous avons bien évidemment vu, contenu dans cette maison, beaucoup du travail de Simone Decker. « Nous réalisons de plus en plus que cette maison essaie surtout d’éviter toute affiliation évidente. Sa forme n’est ni moderne, ni rétro, ni…. mais cherche une neutralité, au moins jusqu’à l’installation de notre projet pour la façade. Elle joue sur l’archétype de la ‹maison›, sans pour autant afficher offensivement cette argumentation. Elle s’adapte à son environnement architectural, sans le mimer, mais aussi sans le refuser. Les proportions ont été déterminées par le très petit terrain de 235m2 que nous avons exploité au maximum. Un plan simple rectangulaire, une tour de quatre étages, avec une grande pièce par étage. A part ce questionnement formel, c’est une maison à très basse consommation d’énergie avec une très bonne isolation. Une construction en bois, ce qui également ne se voit pas instantanément. Dans quelques jours, on retire l’échafaudage. On distinguera mieux la silhouette simple, les 4 couleurs des 4 faces de la maison. Le fait qu’il n’y pas de cheminée, pas de gouttière (la canalisation de l’eau est invisible de l’extérieur), donc quelque part une maison nue qui attend d’être vêtue avec sa robe à motifs pixellisés, tissée de découpes de bannières publicitaires recyclées. »

Simone Decker et Christian Pantzer

Vidéo(s)

Film de l’exposition © Claire Le Restif / le Crédac

Biographie artiste

  • Née en 1968 à Esch-sur-Alzette, Luxembourg.
    Vit et travaille à Francfort, Allemagne.

Partager cette page sur :FacebookTwitter