Le Crédac

GRAIN

Simon Boudvin

« Défaire relève, autant que faire, d’un droit démocratique »¹. Ainsi s’exprime l’artiste Gordon Matta-Clark (1943–1978). L’anarchitecte américain est une des références de Simon Boudvin autant que l’est le philosophe français Gilbert Simondon (1924–1989)².

Comme souvent pour ses expositions, l’artiste a choisi un titre court et sonore qui va au-delà de sa propre signification. Il évoque le grain des photographies, la texture du monde et les différentes variations des objets, a priori semblables, qui fondent un milieu.


L’analytique et le politique fondent le travail de Simon Boudvin, fortement lié à l’histoire des formes. C’est à son environnement que l’artiste s’intéresse en permanence. Ainsi traite-il la question du motif de la même manière pour le design, la mécanique et l’architecture.

Les variations, les structures élémentaires et géométriques, constituent le vocabulaire de ses multiples combinaisons et réflexions. Chacune de ses recherches l’engage à une exploration — car il ne travaille jamais hors-sol — et celles-ci s’accompagnent de rencontres humaines avec les personnes derrière ces objets.

Si jusqu’à présent Simon Boudvin proposait un seul geste dans ses expositions personnelles (comme par exemple la réunion d’échelles ou de cuves à fuel en un seul lieu³), pour GRAIN, l’artiste réunit en un seul espace, des séries d’objets et des sujets distincts dont seule la méthode d’analyse est semblable. Toutes ses propositions sont des variations de formes, à chaque fois ancrées dans des situations, liées à des histoires, à des activités, et à des territoires nous permettant de les distinguer.


La méthode « appropriationniste » de Boudvin se décline selon plusieurs manières de procéder : celle de l’analyse par le démontage (la Twingo), l’interprétation d’un système et la production de différents modèles issus de ce système (les tabourets), et le prélèvement d’un élément ou motif, et l’enregistrement de son empreinte ou de sa forme (le verre Duralex, les grilles de façade à Hanoï filmées ou restituées sous la forme de dessins minimalistes). Enfin, l’inventaire photographique ou l’enquête urbaine (les photos des poignées de portes des cités d’Ivry-sur-Seine réalisées par l’artiste lors de sa résidence au Crédac) se rapporte à cette dernière stratégie.


Si l’artiste s’attache aux formes culturellement et sociologiquement établies, à ce que l’on pourrait appeler des objets de classe, il privilégie néanmoins ceux pour lesquels il a un attachement esthétique.

La Twingo, une automobile dont le design selon lui « fait sourire », est devenue pour sa génération un standard naturel de nos villes, un motif qui se répète et qui marque le paysage, au même titre que le verre Duralex rythme les cafés ou les cantines.

Ainsi les objets réunis dans l’exposition peuvent-ils être considérés comme des sculptures documentaires ou sociales.


Il y a une certaine malice dans la mise en exposition proposée. Elle consiste à donner à voir et à vivre une expérience, où de salle en salle on retrouve des éléments similaires, comme c’est le cas d’une rue à une autre dans une ville. La répétition qui se joue dans l’espace propose aux visiteur·se·s un exercice de regard et de mémoire. Elle déjoue, ce qui aurait pu n’être, par excès de formalisme analytique, qu’une réunion d’objets organisée par typologie.

L’effet de cette balade est accentué par la restitution de la couleur grise « naturelle » des murs du lieu qui l’accueille.

De même, les étagères qui contiennent les différents éléments prélevés de la Twingo, présentes dans chacune des salles semblent appartenir au lieu, comme si elles dataient d’une époque où la Manufacture des Œillets était encore une usine.

Cette modalité muséographique nous raconte une histoire, celle des personnes qui ont dessiné chacun de ces objets et celles des ouvriers et ouvrières, qui ont, par des gestes répétitifs, fabriqué et assemblé toutes ces pièces jusqu’à former une voiture.


Ancien étudiant à l’École des Beaux-arts de Paris, Boudvin a suivi l’enseignement de l’artiste italien Giuseppe Penone (né en 1947). Dans cet atelier il était question de révéler des formes plutôt que de les inventer. Dès lors, comme certain·e·s artistes de sa génération, Simon Boudvin a été attentif aux histoires, politiques et culturelles transmises à travers les objets.

Si Penone reste une référence de son apprentissage, le véritable « fantôme » de l’exposition est, selon lui, l’artiste allemande Charlotte Posenenske (1930–1985) active entre 1959 et 1968. À travers ses séries constituées de structures minimalistes, Posenenske s’est intéressée à la condition ouvrière, avant de décider de mettre fin à sa production artistique pour se consacrer à la sociologie, la jugeant plus efficace pour modifier politiquement les choses. Dès lors, elle se spécialise dans les pratiques du travail d’industrie, en particulier la production à la chaîne.


Si ce sont bien les objets qui occupent l’exposition, c’est l’être humain que Simon Boudvin s’emploie avant tout à mettre en avant : le geste qui vient de la main, qui révèle la fonction et la beauté des objets lorsqu’ils sont traités — comme Simon Boudvin le fait aussi — dans leur intégrité et leur vérité, dans le sens de la veine du bois en quelque sorte.


    Claire Le Restif


1    Entretiens, Gordon Matta-Clark, éd. Manon Lutanie et Raphaëlle Brin, édition française, 2011
2    Spécialiste de la théorie de l’information et philosophe de la technique, de la psychologie et de l’épistémologie, Gilbert Simondon est l’auteur de Du monde d’existence des objets techniques, ed. Aubier-Montaigne, Paris, 1958.
3    Legs, Galerie Jean Brolly, Paris, 16.02.–16.03.2013 ; Ubac (Col de l’échelle), Les Capucins, Centre d’art contemporain d’Embrun, 13.09.–03.11.2018.

Vidéo(s)

Réalisation et montage : Thomas James

Documents

  • Feuille de salle — GRAIN, Simon Boudvin
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  • Réflex Nº45 — dossier de réflexion — GRAIN, Simon Boudvin
    7.71 MB / pdf
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  • Mode d'emploi n°1 — GRAIN, Simon Boudvin
    959.53 KB / pdf
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  • Exo Nº41 — Livret-Affiche pour enfants — GRAIN, Simon Boudvin
    2.73 MB / pdf
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Biographie artiste

  • Né en 1979 au Mans. Simon Boudvin vit et travaille à Bagnolet. Son travail est attentif aux mutations des territoires qu’il parcourt, procédant à leur relevé détaillé, leur reconstitution, leur description ou leur photographie.
    Le SHED, Centre d’art contemporain de Normandie et le Frac Normandie à Caen lui consacrent une exposition personnelle en 2019 ; le Centre d’art contemporain Les Capucins à Embrun en 2018. Il fait partie des artistes sélectionné·e·s par Claire Le Restif pour le Prix Fondation Pernod Ricard en 2019. Simon Boudvin est résident au Crédac pour l’année 2019 – 2020 dans le cadre du « programme régional de résidences d’artistes » de la Région Île-de-France et avec le soutien de la Ville d’Ivry-sur-Seine, puis pensionnaire à l’Académie de France à Rome — Villa Médicis en 2020–2021.

Évènements & Rendez-vous

Partenariats

L’exposition a été réalisée grâce au soutien et à la collaboration de : Les ateliers bermuda, l’Académie de France à Rome - Villa Médicis, le « programme de résidences d’artistes » de la Région Île-de-France, le Garage Municipal de la ville d’Ivry-sur-Seine.
Bote-tchu & Sèllatte a reçu le soutien de Les ateliers Bermuda, le soutien à l’édition du Centre national des arts plastiques (Cnap), l’aide du Crédac, du canton de Neuchâtel, de la ville de Lausanne et de la ville de Saint-Imier.

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