Le Crédac

Agalmata

Emmanuelle Villard

Emmanuelle Villard, 33 ans au moment de l’exposition et déjà une œuvre qui semble construite sur des sables homogènes.

On peut dire rapidement que son mode de pensée et ses méthodes empruntent à l’héritage de la peinture abstraite. Peut-on pour autant prétendre qu’elle privilégie la forme sur l’idée ? Non d’autant qu’à son propre postulat « Comment faire un tableau abstrait qui ne soit pas une surface de projection ? », premier paradoxe qu’elle repère elle-même : « Je me rends à l’évidence, c’est une sorte de synthèse »1.

Si je commence ce court texte sous l’angle autobiographique, c’est que vraisemblablement, la fiction de son exposition au Crédac, commence comme un face à face. Avec le spectateur.


Deux rideaux de perles identiques sur lesquels figurent deux mires. Deux yeux. Évidemment ! C’est le passage à traverser pour pénétrer dans l’exposition. Deux hémisphères. Non pas d’un globe mais d’un cerveau. Si je choisis d’entrer à gauche, je suis face à un tableau. Très vite. Un de ses « petits » tableaux, débordant de peinture, reconnaissable entre tous. Sa signature. Sa marque. Comme un regard qui déborde, la peinture a débordé le châssis. Un trop-plein bien sûr.


Derrière, un univers inédit. Une vingtaine d’objets visuels hémisphériques sont suspendus dans l’espace. Me monte à la tête Comic strip, la chanson de Gainsbourg disant les onomatopées propres au « pop » de populaire, davantage qu’au « pop » d’art, rendant avec précision l’univers fantaisiste et léger de la bande-dessinée. Je retiens alors les sons, les gestes, la densité, la perte de repères propres à la 3D. Et comme le phoque du zoo, je me retrouve un tableau-bulle sur le bout du nez ! Par le bout du nez ! Et ce dispositif sans précédent chez Villard, se transforme vite de « Comic strip » à « Cosmic trip ».

Oui, nous sommes dans une époque scopique.
Cosmique et cosmétique.


Dans l’hémisphère droit de l’exposition, la traversée du rideau (du miroir !) s’opère dans un même mouvement.

Seulement là, l’espace s’ouvre pleinement.

Au plus lointain, c’est à dire à douze mètres de moi, Villard a placé un tableau issu de la même série que celui de la salle de gauche.

« Voir suppose la distance, la décision séparatrice, le pouvoir de n’être pas en contact et d’éviter dans le contact la confusion. Voir signifie que cette séparation est devenue cependant rencontre. Mais qu’arrive-t-il quand ce qu’on voit quoique à distance, semble vous toucher par un contact saisissant, quand la manière de voir est une sorte de touche, quand voir est un contact à distance ? »2. Telle est la préoccupation à laquelle Emmanuelle Villard répond magistralement. C’est là, à cet instant, que l’érotisation de l’exposition atteint son potentiel maximum. L’apothéose du visuel, certes, mais aussi du charnel. Etranges « pièges à regard » que ces « immenses tableaux ». Peinture capiteuse.

Par opposition, et de manière radicale Emmanuelle Villard a niché une réserve, une sorte d’antichambre à l’exposition. En effet, derrière une des cloisons, elle a planté là, trois boîtes en verre aux lourdes bordures noires. Triptyque manifeste, grinçant et grave, drôle et funèbre.

Par-dessus tout, c’est à dire en hauteur, dominants, invisibles, les signes abandonnés de la lente percolation de sa peinture.

Villard nous l’a dit « dès l’instant qu’une série fonctionne bien, je lui fabrique son contrepoint »3. Pour preuve ces deux tableaux « coussins ». La chair a décollé du châssis, comme victime consentante d’une déflagration. Les tableaux se sont mis à trembler, à rejeter le motif, à devenir monochromes « porteurs d’ombres ».

L’intuition frappe toujours juste. Puis, elle écrit un dispositif : cinq tableaux sur un mur de dix mètres, une gageure sur les sols mouvants du Crédac. Chaque élément est perçu comme connecté à chaque autre. Pourtant chacun occupe un espace spécifique. L’hétérogénéité est constitutive du tout !

Jusqu’alors, Emmanuelle Villard nous avait exposé son système par la mise en place au sein de ses expositions, de contraintes, d’obstacles, de labyrinthes. Ici, c’est par le vide même, de manière subtile, qu’elle nous met à distance.


Agalmata, à la fois titre de l’exposition et notion complexe en psychanalyse, qui souligne ce qui est caché à l’intérieur, le trésor que recèle toute enveloppe et le mouvement de projection de désir sur celle-ci.

Comme si le motif de l’énigme était plus important que son contenu, le fantasme plus opérant que l’accomplissement du désir, la quête plus fondamentale que le but atteint.

Un secret. Indicible, parce que lié à l’expérience personnelle de la quête.


Claire Le Restif

  1. dans le catalogue Centre d’art La Criée, entretien Emmanuelle Villard-Claire Le Restif, 2002
  2. dans L’Espace littéraire, Maurice Blanchot
  3. dans le catalogue Centre d’art La Criée, entretien Emmanuelle Villard-Claire Le Restif, 2002

Vidéo(s)

Film de l’exposition © Claire Le Restif / le Crédac

Biographie artiste

  • Née en 1970 à Montpellier.
    Elle vit et travaille à Paris, France.

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