La huaca pleure
Louidgi Beltrame
Depuis 2012, Louidgi Beltrame développe une recherche au Pérou, laquelle l’a mené aux géoglyphes de Nazca, ou à filmer la pratique du curandero (guérisseur traditionnel ou chaman) José Levis Picón Saguma. À travers des films, des photos, des encres sur toile et une sculpture, produits pour cette exposition, l’artiste s’intéresse à la figure liminale du huaquero ou « fouilleur de tombe clandestin ».
Les huaqueros utilisent un ensemble de techniques magiques et vernaculaires afin de repérer les sépultures et leurs artefacts dans les ruines de pyramides et de nécropoles précolombiennes appelées huacas. Selon la tradition andine, ces sites sacrés sont des personnes. Le huaquero doit donc engager une relation de réciprocité avec ces existences « autres qu’humaines » afin de s’attirer leurs bonnes grâces, et pouvoir ainsi accéder à leurs trésors, notamment céramiques rituelles, parures en métal et textiles.
Si l’objectif pour le huaquero est de vendre une partie des objets trouvés, celui-ci opère au sein d’un réseau d’intermédiaires complexe incluant faussaires, collectionneurs, musées, mais aussi guérisseurs, chamanes et communautés rurales. Après leurs fouilles, les huaqueros se rendent chez un curandero pour se faire « nettoyer ». Ils lui offrent alors parfois, en échange du soin, un objet de la huaca. Ces transactions dépassent alors le cadre purement spéculatif et financier, puisque lors de ces cérémonies de guérison collective (mesas curanderas), les artefacts échangés réintègrent le circuit rituel et sacré, et redeviennent les agents d’une transmission de savoirs précolombiens.
La huaquería — la fouille clandestine — pourrait donc être perçue comme une forme de résistance à la colonisation et à la lecture rationnelle du monde, en permettant d’assurer des liens avec le passé. De ce fait, traditions, esprits et ancêtres demeurent vivant·es.
Le huaquero est considéré comme un spécialiste au sein des communautés andines, un genre d’archéologue empirique. Si d’un point de vue juridique son activité est illégale, se pose alors la question de sa légitimité en tant que membre de la communauté locale. En effet, les huaqueros, poussés par la nécessité et le contrôle postcolonial ont aidé et conseillé les archéologues occidentaux en mission d’exploration aux XXIe et XXe siècles, eux-mêmes à la recherche des précieux objets précolombiens que cachaient les huacas.
On dit que « la huaca pleure » lorsque des larmes de sable commencent à couler sur les bords de la tombe exhumée, et que celle-ci menace de s’effondrer et d’avaler les fouilleurs clandestins. Peut-être pouvons-nous assimiler ses pleurs à une forme de catharsis libérant mort·es et vivant·es des souffrances de la mémoire coloniale.
Vidéo(s)
Réalisation et montage : Thomas James
Documents
- Feuille de salle — LA HUACA PLEURE, Louidgi Beltrame1.33 MB / pdfTéléchargement
- Glossaire — LA HUACA PLEURE, Louidgi Beltrame302.8 KB / pdfTéléchargement
- Réflex Nº51, dossier de réflexion — LA HUACA PLEURE, Louidgi Beltrame7.74 MB / pdfTéléchargement
- Exo Nº47, livret-affiche pour enfants — LA HUACA PLEURE, Louidgi Beltrame2.98 MB / pdfTéléchargement
Biographie artiste
Louidgi Beltrame est né à Marseille, il vit et travaille à Paris.
Le MAC Lima au Pérou (2021), le Centre d’Art Contemporain Circuit à Lausanne (2019), le Centre d’Art Contemporain Passerelle à Brest (2019), le Palais de Tokyo (2016), le FRAC Basse-Normandie, le Kunstverein de Langenhagen (2015), ainsi que la galerie Jousse Entreprise (2014, 2019), lui ont consacré des expositions personnelles.
Il participe à la 12e Biennale de Gwangju en 2018 et prend part au programme de films conçu par Apichatpong Weerasethakul dans le cadre de la 11e Biennale de Sharjah en 2013. Il participe à de nombreux festivals dont le FID Marseille, Doclisboa et International Film Festival Rotterdam, ainsi qu’à des expositions collectives dont Meia Noite, Biennale d’Art Contemporain de Coimbra (2022), Les Envoûtés, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (2021), A Natural History of Ruins, Centre d’Art Contemporain Pivô, Sao-Paulo, Brésil (2021), Stadtansichten, Kunstverein Heidelberg (2018), Y he aquí la luz, Museo de arte Miguel Urrutia de Bogota (2017), What is not visible is not invisible, National Museum of Singapore (2016), Flatland, Musée d’art contemporain de Sérignan (2016), Plagiar of Futuro, Hangar, Lisbonne (2015), Michelangelo Antonioni, Cinémathèque Française, (2015), Double Jeu, FRAC Centre, Orléans, 2014.
Évènements & Rendez-vous
Partenariats
Le projet de Louidgi Beltrame reçoit le soutien du ministère de la Culture - Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France et du Centre national des arts plastiques.