Going Space
Caecilia Tripp
Commissariat : Claire Le Restif, avec la complicité de François Quintin
Les odyssées que Caecilia Tripp partage avec les spectateurs sont liées à l’histoire des migrations des peuples. Traduites en autant de traversées que d’ascensions ou de célébrations, elles sont en perpétuel mouvement.
Going Space commence par une pièce sonore qui accompagne l’ascension rythmée du spectateur vers l’espace d’exposition. Comme une procession, code récurrent dans le travail de l’artiste, l’exposition suit le fil d’une géographie fluide depuis l’intimité de portraits de lecteurs endormis (Sleeping with Books, 2011-15) en passant par le contexte urbain et le reenactement de performances passées (Last Song, 2015 ; Paris Anthem, 2008), jusqu’à la musique cosmique et le vortex dessiné à la craie par la chorégraphie circulaire de patineuses à roulettes.
Scoring the Black Hole1 est d’abord une performance, puis une composition musicale cosmique inscrite sur une toile et un film. Il n’y a ni commencement ni fin, seulement l’infini et l’inconnu. Dans We Are Nothing but Stardust (2015), elle évoque justement la théorie des cordes, et fait référence au saxophoniste et compositeur de jazz John Coltrane qui jouait des constellations cosmiques dans ses improvisations, explorées par le chercheur en physique quantique Stephon Alexander. Ainsi, Scoring the Black Hole révèle et marque nos liens invisibles.
Une autre traversée est celle effectuée par une bicyclette préparée (Music for (Prepared) Bicycle, Score Two: New York, 2015) depuis le Bronx en passant par Spanish Harlem jusqu’au pont de Brooklyn, retraçant ainsi l’histoire des Young Lords, groupe social radical fondé par la jeunesse portoricaine à New York et Chicago dans les années 1960, et celle des Black Panthers.
Dans tous les cas, il s’agit de déplacements dans l’histoire. L’histoire de la construction, de la fluidité et du dépassement des identités sont les pierres angulaires du travail de Caecilia Tripp. À travers l’histoire de la musique et du son, elle nous livre certains des codes de construction d’une Amérique multi-raciale, repensés par les imaginaires de la musique hip-hop et de la poésie (The Making of Americans, 2004).
Le voyage, l’errance, la dérive sont des motifs artistiques et philosophiques présents dans l’exposition. Depuis la figure du flâneur, introduite au début du XXe siècle par le philosophe Walter Benjamin, qui faisait l’éloge de la lenteur en opposition à l’accélération de la vie moderne et à l’extension des villes, tenant en laisse une tortue comme seul guide (The Turtle Walk, 2011). Point de vue critique prolongé par Guy Debord dans les années 1970 avec le concept de dérive, qui plaçait l’individu au centre de la réflexion, remettant en question le sens de l’espace public et privé à l’ère du capitalisme.
Dans son exposition réunissant les dix dernières années de son travail, Caecilia Tripp nous montre qu’elle est un véritable capteur du monde. Elle réalise une œuvre qui semble porteuse d’une croyance selon laquelle, dans le mouvement et l’action, chacun d’entre nous a le pouvoir de changer quelque chose. Bien sûr, elle réalise des œuvres dans un moment de crise et de protestation, où tous les repères sont remis en question depuis Ground Zero, après Occupy Wall Street, les Printemps arabes et la forte montée des intégrismes de toutes obédiences. Caecilia Tripp ne se contente pas de documenter. Elle conçoit et capte ses performances depuis la rue, travaillant toujours en collaboration. Elle a ainsi abandonné depuis longtemps l’idée de l’atelier, pour directement s’engager avec des personnes. Poètes, chorégraphes, musiciens, philosophes, historiens, physiciens et astronomes sont les protagonistes ou compagnons de processus participatifs qu’elle mène entre Paris, Bombay, New York, les Caraïbes et aujourd’hui Ivry.
Une artiste toujours en mouvement comme les roues de bicyclette dont les rayons sont des cordes de guitare (Music for (Prepared) Bicycles - bicycle sculpture, 2015), ainsi transformée en instrument de musique, en révolution. Caecilia Tripp s’intéresse aux mouvements de protestation, à la désobéissance civile et à l’anarchie. Ceux qui ont défié la ségrégation raciale sont omniprésents, que ce soit l’écrivaine américaine Gertrude Stein ou le musicien de Jazz Miles Davis, en passant par l’activiste Angela Davis ou le boxeur Mohammed Ali.
Fortement inspirée par le poète caribéen Edouard Glissant dont elle était proche et à qui elle a consacré des films (Making History, 2008), c’est « la poétique de la relation » qui permet à l’œil critique de Caecilia Tripp de s’ouvrir à des utopies, à l’invention de nouvelles langues, à la mise en lumière de codes culturels dominés et à l’analyse des imaginaires sociaux. Caecilia Tripp ne cesse de s’intéresser au dépassement de la question identitaire, car dit-elle « nous ne sommes pas des identités fixes ». Parce que comme le soulignait Edouard Glissant “Nothing is true, everything is alive” tels les sons et les identités multiples qui résonnent dans Going Space.
Claire Le Restif
Vidéo(s)
Film de l’exposition, réalisé par Bruno Bellec. © Le Crédac, 2016.
Documents
- Feuille de salle — GOING SPACE, Caecilia Tripp572.26 KB / pdfTéléchargement
- Dossier de presse — GOING SPACE, Caecilia Tripp696.73 KB / pdfTéléchargement
Ressources pédagogiques
- Réflex nº29 — GOING SPACE, Caecilia Tripp527.62 KB / pdfTéléchargement
Biographie artiste
Caecilia Tripp utilise l’installation filmique, la photographie et la performance, jouant avec les codes cinématographiques et utilisant des formes de reconstitution, de répétition, qui émerge de l’imaginaire collectif, qu’elle utilise comme un espace de transgression des frontière sociales et culturelles.
Depuis toujours, Caecilia Tripp s’intéresse à la question de la construction, de la fluidité et du dépassement des identités. Influencé par « the play of the trickster » — soit une forme de résistance par la ruse, à l’œuvre dans des rituels collectifs, moyens de transgression des frontières sociales et culturelles — son travail est empreint de codes tels le détournement, le déguisement, la réinterprétation et le reenactement.
En quête d’espaces d’invention qui permettent de déterritorialiser les identités, elle inscrit son travail dans un contexte historique mouvant, à la croisée de la globalisation et de nos imaginaires sociaux.
Son travail a été montré dans des lieux tels que le PS1/MOMA New York, USA, la 7e Gwangju Biennale 2008, le Musée d’Art Moderne, Paris, le Clark House Initiative, Bombay, Inde, le Center Of Contemporary Arts, New Orleans, USA, la Zacheta Gallery Warsaw, Pologne, le Brooklyn Museum New York, USA, le Bronx Museum New York, USA.
Partenariats
L’exposition a reçu le soutien de Clark House Initiative, Mumbai, Inde.
Partenariat média : Mousse
Partenariat vernissage : Grolsch